Un totem garde du corps

7 août 2015

Un totem garde du corps

Comment un totem peut-il être un garde du corps rapproché ?
Il devait-être presque minuit, cette nu-là, lorsque mon grand-père, le célèbre Wabo Tayoutué me fit appel. Je devais cheminer un pli fermé chez l’un de ses amis à l’autre extrémité du village.
Il y avait de l’empressement pour le transport de ce colis qui devait partir pour la ville dare-dare le lendemain matin de si bonne heure.
Pour une fois, j’étais mis à rude épreuve, je devais faire montre d’un garçon courageux en bravant les fantômes, fruit de mon imagination qui taraudait mon esprit.
La nuit était noire et je devais braver la monstruosité des arbres qui se présentaient de nuit comme de grands refuges de sorciers ou des monstres téméraires et effroyables.
Mon grand-père se veut rassurant en me tapant dans le dos.
– Va, ne crains rien, je te protège mais ne détourne pas ton regard du droit chemin, quoiqu’il advienne, surtout ne regarde pas derrière toi.
– Pourquoi grand-père
– Un jour, tu comprendras.
Sur ce, je m’étais engagé sur le chemin non sans frayeur, car je devais jouer des yeux du chat, le village à l’époque n’étant pas électrifié. La chute d’une brindille d’un arbre me faisait horriblement peur. J’étais terrorisé à l’idée de rencontrer sur mon chemin un revenant.
Mille histoires se contaient sur ce genre de personnes au village et, il y avait une semaine, lors d’une balade j’avais découvert une tombe enchaînée. Les langues déliées me firent entendre que le défunt avait l’habitude de sortir de jour comme de nuit de sa tombe ce qui a contraint sa famille à féticher son tombeau pour éviter désormais ces sorties. Plus tard, étant déjà adulte, je compris que cette tombe était enchaînée du fait que le défunt n’ayant pas purgé avant sa mort toute sa peine de prison. Ce sont les autorités pénitentiaires qui ont alors scellé cette tombe. Mais, adolescent, je m’étais fié au raconteur villageois au point que mes cheveux se hérissaient et que j’avais une peur quand il fallait faire un détour par le chemin qui menait à cette tombe. D’ailleurs je n’étais pas le seul gosse à avoir des angoisses, c’est en bande que nous traversions ce bout de chemin.
La peur était à son comble au point que nul ne pouvait s’aventurer seul à passer près de cette tombe maudite.
Nous croyons aux fantômes, à des histoires rocambolesques de revenants qui venaient châtier ceux qui les avaient précipités dans l’au-delà,et pire on nous disait que même les innocents étaient victimes de leur châtiment. Quelle injustice ! Angoissé, je déambulais sur la route crevassée qui menait au domicile de l’ami de mon grand-père. J’étais perdu dans de sombres idées, mais concentré sur mon chemin. Je suivais à la lettre les recommandations : surtout ne pas se retourner quoiqu’il arrive avait dit le grand-père.
Ce fut presque à pas de course que j’effectuais ma commission et sur le chemin du retour je fus aussi précautionneux comme à l’aller tout en me disant : « Mon grand-père me protège des mauvais totems, des panthères, buffles et autres animaux qui rôdent la nuit sans oublier les fantômes ».
Mais une chose me taraudait l’esprit comment le grand-père que j’avais laissé dans sa cuisine me protégeait-il ? Le faisait-il à partir d’un talisman ou quoi ?

Noyé dans cette réflexion, je rejoins triomphalement notre concession et je me précipite pour dire au grand-père que je suis de retour et que j’avais bel et bien rempli la tâche qu’il m’avait confiée.
Mon grand-père est mort sans dire ouvertement comment il nous protégeait la nuit quand nous faisions ses courses mes cousins et moi.
C’est plus tard après sa mort que lors d’une rencontre festive au village en nous remémorant les souvenirs d’enfance que nous avons évoqué ce pan de notre histoire familiale auprès de nos oncles en leur demandant des éclaircissements sur des points qui dépassaient notre entendement. L’un de nos grands-oncles nous renseigna sur cette fameuse protection.
Il s’étonna d’abord de notre incompréhension malgré notre âge, en nous affirmant, car c’est avec la compagnie du totem de notre grand-père que nous avancions. L’interdiction de ne pas détourner le regard de notre chemin quoiqu’il arrive était nous épargner de la frayeur de découvrir un animal qui, devait nous fondre dans la peur.
Ainsi, le totem de notre grand-père nous servait de garde rapproché, une vérité que nous adolescents, avions complètement ignorée.
Comment pourrions-nous le savoir ? Le grand-père nous parlait souvent à demi-mot. Il disait toute vérité n’est pas bonne à dire aux enfants. Si je l’avais su plutôt, j’aurais dit à qui veut l’entendre « le totem de mon grand-père est mon garde de corps rapproché, même dans les ténèbres si vous m’envoyez, il viendra me suivre ».
A certains égards, mon grand-père avait raison

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